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Alan Seeger et le Chemin des Dames

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Portrait photographique d'Alan Seeger à Harvard vers 1910

photographie publiée dans l'ouvrage en français de 1918

AILLEURS  ET  AU-DELA : ALAN SEEGER  ET  LE  CHEMIN  DES  DAMES

        Mort trop jeune Alan Seeger (1888-1916) est peu connu en France bien qu’une statue soit érigée à sa mémoire Place des Etats-Unis à Paris, sur le monument dédié aux volontaires américains de la Grande Guerre. Ici même, au Chemin des Dames, le collège « 'Alan Seeger' » de Vailly-sur-Aisne manifeste sa présence dans notre région et honore ce combattant engagé volontaire dans la Légion Etrangère en 1914.

bandeau annonce du site du collège 'Alan Seeger' de Vailly-sur-Aisne : http://etablissements.ac-amiens.fr/0020065k/siteweb

Ses écrits de la période de guerre ont été publiés en français dès 1918 chez Payot. Ils comprennent son journal, des lettres adressées à diverses personnes et une vingtaine de poèmes. C’est donc assez peu mais ce fut suffisant pour que des hommes aimant la littérature retiennent son nom et son œuvre et aient eu envie ensuite de faire connaître cet auteur étranger ‘mort pour la France’.

Un jeune venu d’ailleurs.

        Alan Seeger est né le 22 juin 1888 à New-York. Les enfants Seeger sont incités très tôt à s’intéresser à l’art et à la littérature. Ils habitent une maison sur les coteaux de l’île de Staten, vers Richmond. En face, à leur vue, la célèbre colonne de la Statue de la Liberté et à droite le pont de Brooklyn : paysage maritime favorable à l'ouverture d’esprit aux forces jaillissantes du ‘nouveau monde’. A douze ans le jeune Alan accompagne ses parents à Mexico pendant une dizaine d’années. Du nouveau encore en 1902 quand Alan est envoyé aux Etats-Unis pour études, études qu’il réussit et qui lui ouvrent l’accès de l’Université d’Harvard en 1906, de laquelle il sort diplômé en 1910. Là le jeune Alan est tout entier tourné vers la littérature et la poésie, l’histoire médiévale et accessoirement le sport ; il vivait dans un ailleurs auréolé de passions littéraires, rêvé autant que vécu. Puis il séjourne à nouveau deux ans à New-York et se rend à Paris en 1912, tournant décisif de sa vie. Il y fréquente des artistes et écrivains et s’éprend de cette ville, l’un des phares de la civilisation occidentale. Ses poèmes ou articles pour le « Mercure de France » et autres revues sont lus par des abonnés attentifs qui repèrent vite cet écrivain. Le printemps et l’été 1914 le voient à Londres. En août il  s’engage dans la Légion Etrangère avec une cinquantaine de compatriotes pour défendre Paris et la France. 

Un combattant dans les tranchées, un littéraire : quand l’ailleurs rejoint des au-delà.         

Alan rejoint le 2 ème Régiment Etranger à Toulouse. Le 4 octobre il est en Champagne et le 20 dans les Marais de Saint-Gond. Le 27 on le voit à Fismes et Cuiry-les-Chaudardes. Dès lors Alan Seeger est un combattant du Chemin des Dames, cela jusqu’au 17 juin 1915, soit sept mois et demi passés sur notre territoire. L’été 1915 le voit en Haute-Saône et en Champagne à nouveau. Malade de février à avril 1916 il est hospitalisé à Paris et Biarritz puis rejoint le front en mai, celui de la Somme. De mai à juillet il combat autour de Péronne et est tué le 4 juillet à Belloy-en-Santerre.

Durant les sept mois et demi de son séjour en notre secteur Alan Seeger rédige son 'journal', écrit aux intimes, compose des poèmes. Dans sa guerre il transfigure le monde qui l’entoure et s’échappe ainsi partiellement du quotidien, il n’est pas différent en cela de quelques artistes et écrivains combattants. Le 28 avril 1915 il envoie un long article au « New-York-Sun » dans lequel il décrit la vie quotidienne des troupes à Craonnelle, ce qu’il voit, ce qu’il fait. "...Nous partîmes quinze hommes il y a quelques nuits pour reconnaître un nouveau fossé apparu sur le haut du coteau, sous les lignes allemandes. La lune à son premier quartier, presque entièrement voilée de nuages, rendait les conditions favorables. ... Encore une fois, le passage familier à travers ses rues barricadées, entre ses murs criblés et ses toits squelettiques, puis nous gravîmes la colline par un fossé de communication avec les tranchées avancées. ..."

villages de Craonnelle et Craonnevillages de Craonnelle et Craonne depuis le plateau de Paissy

On y lit également une description de Paissy tout à fait juste : ..."Suivi cette route jusqu'à Fismes, et ainsi de nouveau au plateau de Merval. ... Tourné la route de Laon et, par Moulins, arrivés à Paissy sur le plateau où nous relevâmes le 6e de ligne qui était ici depuis octobre. Village pittoresque bâti le long d'une route qui surplombe un ravin en fer à cheval. Le fond tapissé de coquelicots, cascades, perspectives lointaines. "  ;

brouillard dans le ravin de Mourson à Paissy, situé entre le village de Paissy et le ravin de Troyon à Vendresse

de même que celle du ravin de Troyon : " ... Nous sommes à l'entrée d'un profond ravin qui commande une jolie perspective en triangle sur la vallée de l'Aisne et le plateau au-delà, à travers un cadre de feuillage. ... une paresseuse période de repos presque complet. ... ils appellent cela la guerre." Son poème « des hommes en armes » dévoile une troupe assaillante presque comme l’aurait décrite un chroniqueur des croisades. Quasi indifférent aux horreurs de la guerre, ce qui l’intéresse c’est l’héroïsme, le sacrifice, la beauté de l’action combattante comme on peut le lire, entre autre, dans une strophe de la célèbre « Ode à la Mémoire des volontaires américains tombés pour la France » et lue à Paris le 30 mai 1916 devant les statues de Lafayette et de Washington.

"... Il est juste de joncher de branches de lilas et des premières roses du printemps les cénotaphes de ceux qui, pour défendre la plus chère des causes de l'histoire, tombèrent au matin lumineux, à la fleur de leurs jeunes années ! "...

Oui, paradoxalement, Alan est heureux dans la guerre «antidote à la civilisation» qui lui fait oublier les médiocrités de l’ordinaire. Il vit largement dans l’ailleurs et le rêve, embellissant par avance la mort du combattant engagé, héros en devenir. Ainsi l’exprime-t-il dans une poésie devenue célèbre «J’ai un rendez-vous avec la mort» que nombre d’Américains connaissent par cœur et qui figurait sur le carnet personnel du Président Kennedy. Cette mort attendue, parfois désirée et rarement crainte il la trouve le 4 juillet 1916 lors de l’assaut de Belloy-en-Santerre par la Légion où les combats sont violents dans les ruines du village. Les pertes du régiment sont énormes, de l’ordre de 800 morts pour une victoire qu’Alan n’a pas connue. Nous reviendrons sur ce tragique épisode dans une autre note de ce blog.

Alan a combattu pour la France en référence à sa culture et en liens mémoriels avec La Fayette, il ne se bat pas contre l’Allemagne : «…je me suis rangé naturellement du côté où j’avais le plus d’obligations. Mais qu’il soit bien compris que je n’ai pas pris les armes par haine des Allemands ou de l’Allemagne, mais par amour pour la France. »  Journal, 31 juillet 1915.

Dans l’insouciance ordinaire de la jeunesse il transcende la guerre pour en faire quelque chose au-delà de l’ordinaire. Pas étonnant qu’il fut repéré parmi d’autres par Pierre Teilhard de Chardin : «… Rencontré aussi, dans un vieux numéro des Deux-Mondes une étude intéressante sur un jeune poète américain tué à la guerre (Alan Seiger –sic-) dont les ‘Juvenilia’ m’ont paru parcourues d’une sève de ‘passion cosmique’ authentique. »

Son écriture n’a pas le ton de la modernité telle que la mettent en scène d’autres auteurs contemporains. Toutefois il faut nuancer cette assertion du fait que la traduction française  au pied de la lettre ne rend pas la présence sonore des vers anglais. Lisez vous-même dans la dernière strophe du poème ‘Champagne’ :

« Drink to them –amorous of dear Earth as well,                                                                         They asked no tribute lovelier than this –                                                                                      And, in the wine that ripened where they fell,                                                                                     Oh, frame your lips as though it were a kiss»

[Champagne, France, july, 1915]

Traduction littérale : «Buvez à eux –pleins d’amour pour la terre chérie ! ils ne demandent pas de plus éloquent témoignage de tendresse – et dans le jus de la vigne qui a mûri à l’endroit même où ils tombèrent, oh ! trempez vos lèvres comme si vous leur donniez un baiser».

Traduction libre de Paul Rivoire :

«Buvez !... Dans le vin d’or où passe un reflet rose                                                                 Laissez plus longuement vos lèvres se poser                                                                                     En pensant qu’ils sont morts où la grappe est éclose,                                                                      Et ce sera pour eux comme un pieux baiser»

Principales sources :

- Alan Seeger, Le poète de la Légion Etrangère, ses lettres et poèmes écrits durant la guerre réunis par son père et traduits par Odette Raimondi-Matheron. Payot, Paris, 1918, 317 p.

- Irving Werstein, Sound No Trumpet, the life and death of Alan Seeger, Thomas Y. Crowell Company, New-York, 1967, 137 p.

sur internet la poésie d'Alan Seeger est largement présente ici :

http://www.theotherpages.org/poems/books/seeger


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